Retour de la baronne de Bram, bien accompagnée...

Les chevaux s'arrêtèrent devant la porte de l'Hostel des Malpertuis. La nuit était tombée depuis fort longtemps, et il avait fallut discuter longuement pour que les gardes acceptent d'ouvrir les portes de la citadelle. Une discution qui avait bien faillit en finir aux poings, mais les cavaliers avaient finalement pu entrer. SanAntonio observait avec attention la ville. Il n'en voyait que peu de chose, grâce au reflet de la lune, mais dans cette nuit, la ville lui paraissait belle. Il serait intéressant d'y séjourner quelques temps, le temps de la visiter.

La petite Marguerite s'était endormi depuis longtemps et, machinalement, il avait pris les rênes de sa monture, la guidant jusqu'à Carcassonne.

Il descendit de son cheval et s'approcha de la jeune baronne de Bram et murmura

Damoiselle Marguerite, nous voicy arrivés à Carcassonne, devant votre Hostel...

La baronne dormait contre le Paulet, qui n'osait bouger de peur qu'elle tombe. Le Paulet s'adressa au vicomte :

-"P'têt' ben qu'il faudrait la porter jusqu'dans l'Hostel... La clef est dans les bagages du ch'val de bât."

Il invita le vicomte à prendre dans ses bras la petite, pour que lui-même puisse descendre et chercher la clef.

Oui, je pense que c'est le mieux pour elle. Autant ne pas la réveiller, elle a eu fortes émotions ces derniers jours. Pauvre enfant...toi aussi tu perd ta mère jeune...

SanAntonio pensa quelques instants à un passé lointain, il sentit une petite larme apparaître au coin de son oeil. Il cligna des yeux, faisant disparaître temporairement cette larme du passé, il prit aussi délicatement que possible la jeune baronne, ne voulant pas la réveiller. Il la laissa se blottir dans ses bras, puis s'adressa au valet :

Voilà, je vous laisse le soin d'ouvrir et de me guider, ne connaissant point la demeure des Malpertuis.

SanAntonio posa les yeux sur la fillette qu'il portait. Elle dormait paisiblement. Des souvenirs de sa propre fille lui revinrent. Sa fille devenue adulte, mariée, et bientôt mère. Il quitta ses pensées, et s'avança vers la porte d'entrée, attendant que le valet lui ouvre l'huis.

Le Paulet s'en alla fouiller dans les paquets portés par le cheval de bât. A quelques pas, le jeune baron de Malpertuis descendait de cheval et attendait, lui aussi, de pouvoir entrer en l'Hostel.

Ah, si seulement le gardien des clefs avait été là ! Mais lui était resté en arrière, il n'était pas encore revenu de Narbonne, et peut-être resterait-il bloqué par les gardiens, n'ayant pas l'aura suffisante pour les influencer.

Il la trouva finalement, et grimpa d'un bond les deux marches menant au perron. Quand il glissa la clef dans la serrure, il ne parvint pas à tourner. Il eut un sourire embarassé et lança au Vicomte :

-"'fin, c'tait ouvert ! Y'a l'Adeline, quand j'y pense, qui doit l'garder."

Il se sentit obligé de préciser au Vicomte étranger à la domesticité de la famille Volpilhat :

-"C'est mon épouse."

La porte s'ouvrit sur l'Hostel presque désert et plongé dans l'obscurité.

SanAntonio allait commencer à s'impatienter. La jeune Marguerite n'était pas un lourd fardeau, mais il n'avait plus la force de sa jeunesse. Aussi fut-il soulagé de voir la porte s'ouvrir. Il était peu enclin à rire ou mesme à sourire, ce valet étant relativement lent et peu doué. Il retint un soupir en entendant le valet parler de sa vie, et de sa femme.

Et bien, merci mon brave. Pourriez-vous prendre soin de ma monture ainsi que celle de damoiselle Marguerite ? Je trouverai bien un chemin...

SanAntonio entra alors dans le vestibule, suffisamment éclairé pour s'y mouvoir sans risque. Il fit quelques pas et s'arrêta, cherchant la bonne direction...

Le serviteur sembla comprendre qu'il parlait trop et mal à propos. Il s'inclina et s'éclipsa.

-"Bien, messire."

Reginhart s'approcha derrière le Vicomte.

-"Veuillez me suivre, Melun... Je vais vous conduire à la chambre de ma soeur."

Et il s'avança dans le vestibule, puis grimpa le majestueux escalier qui faisait face. La lune jetait ses rayons à travers la grande fenêtre surmontant l'escalier et marquant le milieu du long couloir. Les deux ombres qu'ils formaient sur les murs semblaient irréelles.

Finalement le jeune baron s'arrêta devant une porte.

-"C'est ici."

SanAntonio avait suivit le baron dans les couloirs de l'hostel. Arrivé devant ce qui semblait estre la chambre de la baronne, il s'arrêta.

Merci bien, baron. Si je puis me permettre, vous semblez éreinté. Le voyage jusqu'à Narbonne, le voyage jusqu'ici. Je ne saurais trop vous conseiller d'aller prendre du repos. Je vais aller déposer vostre soeur, qu'elle goûte un repos bien mérité, et m'en vais aller attendre dans le vestibule l'arrivée de messire vostre père. Qu'en dîtes-vous ?

SanAntonio resta devant la porte, attendant la réponse du jeune homme, veillant à ne pas réveiller l'enfant qu'il portait.

Le baron hocha la tête.

-"Il est déjà fort tard, messire... J'ignore si mon père arrivera de bonne heure ou s'il passera cette nuit encore à Narbonne. Nous avons des chambres qui peut-être sont prêtes, je vous conseille d'en prendre une."

Il montrait ce disant une porte légèrement plus loin dans le couloir.

-"La bonne nuitée à vous, Melun."

La jeune garçon se courba joyeusement puis disparut au fond du couloir qui tournait à gauche.

SanAntonio salua de la tête le jeune baron, repéra la chambre signalée à son intention, et entra dans la chambre de damoiselle Marguerite. Par la fenêtre ouverte, la lune éclairait la pièce. Il se dirigea vers le lit et y déposa la jeune baronne. Il aurait du sortir mais, sans trop savoir pourquoi, il resta à côté du lit, regardant le jeune fille dormir. C'était mal, et il en avait bien conscience, mais il ne pouvait se résoudre à quitter le jeune fille qui l'avait tant ému depuis leur rencontre. Il s'assit au bord du lit, et glissa une couverture sur la jeune fille endormie, afin qu'elle ne prenne pas froid. La petite larme qu'il avait pu dissimuler quelques instants auparavant, revint, et coula sur sa joue.

Dormez bien damoiselle Marguerite...

SanAntonio cessa de respirer lorsqu'il vit la jeune baronne bouger dans son sommeil, mais elle ne se réveilla point. La regardant dormir, il repensa à la journée qu'elle venait de passer, celle là ainsi que toutes celles depuis qu'elle avait du apprendre le décès de sa mère.

Quelques souvenirs lui revinrent, de sa propre enfance. Il essayait de se souvenir de sa mère à luy, mais elle avait quitté ce monde de longues années auparavant. Il fouilla au plus profond de sa mémoire des souvenirs d'elle, mais n'en trouva que peu. Il se revit, entrant dans la chambre des parents, au castel d'Offémont. Il n'avait que 4 ans. Son grand frère marchait à ses côtés. Un nouveau frère venait de naistre, mais leur mère les avait quitté pour toujours en ce mesme jour.
Il se revit ensuite dans le parc du castel, dans le caveau funéraire familial. La dernière demeure de sa mère. Depuis quand n'y était-il plus retourné ? Il n'aurait pu y répondre. Ce ne fut que quelques années plus tard, lorsque son ainé fut en âge de suivre son apprentissage pour reprendre le domaine familial, qu'il avait été délaissé par son père. Privé d'amour parental, il avait trouvé refuge dans la solitude. Ses deux frères l'avaient aidé à traverser les épreuves de la jeunesse, lui témoignant l'affection dont il manquait par ailleurs. L'amour fraternel qui les unissait encore aujourd'hui datait de cette époque. Lorsque soumit à un père peu présent, ils avaient dus se serrer les coudes ensembles. Ricoh, le fils longtemps préféré aux deux autres. Amro, le petit dernier, rendu responsable du décès de mère. Et SanAntonio, le cadet, délaissé par père.
Le vieil Arnulf avait rejoint mère dans la mort, il n'en avait eu aucun chagrin.

Ce soir là, dans la chambre de la jeune Marguerite, avec pour seul son la respiration régulière de la jeune fille, des larmes coulèrent sur ses joues déjà bien vieillies. Il murmura alors

Espérons que ton père saura prendre soin de toi malgré le décès de ta mère. Je ne peux que te souhaiter de ne pas grandir seule. Tu es si jeune et si fragile. Tu ne dois pas rester seule...

SanAntonio sécha les larmes qui embrumait son regard et se releva. Il hésita un instant, puis se dirigea vers la porte. Il se tourna et jetta un dernier regard vers la jeune fille endormie, avant de refermer la porte et de se diriger vers la chambre que lui avait indiqué le jeune Reginhart. Arrivé là, il s'installa dans un fauteuil, ferma les yeux. Les émotions de la journée ne lui permirent pas de s'endormir, et il vit passer dans son esprit nombre images de son enfance...

La nuit se déroula pour le mieux.

Le soleil avait déjà entamé sa course lorsque la jeune baronne se réveilla. Elle n'avait aucun souvenir d'être venue dans son lit, et se demanda ce qu'elle y faisait. Puis elle se leva - elle portait toujours la robe blanche de l'enterrement, on lui avait simplement enlevé sa cape de voyage - et s'agenouilla sur le prie-Dieu qui se trouvait dans un coin de la pièce.

Elle récita le Cantique des Idée sur l'Essence des Choses :

-Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une chose inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, que j'aime et je comprends.

Car elle me comprend, essence illuminant
Par elle seule, divine ! La chose est la chose-même !
Par elle seule, et sa forme dans la lumière blême,
Elle seule se sait faconner, en dansant.

Est-elle chose essentiellement ? - Je le sais.
Sa forme ? - Je me souviens qu'elle est belle, mesurée,
Comme celle des beautés que Dieu proportionna.

Son aspect est pareil à l'aspect de l'eau pure,
Et par son chant si clair et calme et grave, on a
L'impression que son chant recrée la chose, sûr !"

Puis elle chercha une robe dans sa malle et en passa une blanche - encore la couleur du deuil - avant de sortir de sa chambre et de se rendre dans l'aula.

SanAntonio avait veillé toute la nuit, ne parvenant à trouver le sommeil. Il entendit du bruit dans la chambre attenante. Damoiselle Marguerite devait s'estre levée. Il se leva du fauteuil qui l'avait accueuillit pour la nuit. Il ressentit une douleur au dos, la faute à une position peu encline au repos. Un peu de mouvement calmerait cette douleur. Il sortit de la chambre, et vit son hôtesse s'éloigner dans le couloir. Il pressa le pas et l'appela

Damoiselle Marguerite, vous voilà réveillée ! Comment allez-vous ?

La baronne sourit.

-"Ah, messire ! Je me porte bien, mais mon esprit est tourmenté, mes souvenirs d'hier sont peu distincts... Sauriez-vous m'expliquer comment je me suis trouvée ce matin dans mon lit alors qu'hier encore j'étais à cheval aussi près qu'il m'en souvienne ?"

SanAntonio répondit au sourire de son hôtesse.

Tourmenté ? Et bien, c'est assez compréhensible en effet.
Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire. Vous vous êtes endormie. La route fut longue, et nous sommes arrivés fort tard à Carcassonne. Pendant que vostre valet s'occupait des montures, je vous ai porté jusqu'ici, guidé par messire vostre frère. Il dort encore, si mon ouïe ne me fait pas encore défaut. J'ai moi mesme passé la nuit à méditer dans une chambre voisine que m'a gracieusement offert messire vostre frère.

SanAntonio se demanda s'il devait faire part à la jeune fille de ses inquiétudes à propos de son père, mais il préfera garder celà pour lui.

Mais, je vous importune peut être, vous alliez surement dans un lieu précis, et je ne voudrais pas vous déranger...

-"Non, messire, vous ne me dérangez point. J'allais en cuisines demander à ce que l'on me prépare une légère collation, nous sommes partis hier de Narbonne sans rien manger. Peut-être était-ce là l'origine de ma fatigue.

Savez-vous si messire mon père est arrivé ?"

"Hélas, je ne l'ai pas entendu arrivé. Pour tout dire je n'ai pu fermer l'oeil de la nuit, tourmenté par de vieux souvenirs.
Il a, selon toute vraisemblance, préféré passer la nuit à Narbonne pour voyager de jour. Nous aurions peut estre du faire de mesme.

Mais, vous parlez de collation et je ne voudrais point vous priver de ce moment important. Me permettez-vous de vous accompagner ? Nous pourrons ainsi poursuivre la discution d'hier..."

La baronne hocha doucement la tête.

-"Avec joie, messire, il me semble qu'il y a de la gelée de coings, et comme chaque jour Flamenca doit avoir fait du pain."

Et elle repartit de son pas léger, tournant la tête pour s'assurer que le vicomte suivait.

SanAntonio restait légèrement en retrait de la maîtresse de maison. Il ne risquait ainsi pas de se perdre. Il essayait de penser à cette gelée dont elle avait parlé...du coin ? Mais d'où venait-elle ? Ne sachant trop que dire, il se contenta d'une phrase simple

"Cet hostel est ma foi bien agréable à vivre. L'architecture et la décoration sont d'une rare beauté. Je vous envierais presque cette demeure."

SanAntonio continuait de suivre la jeune baronne. Les couloirs semblaient plus longs qu'il n'y parraissait.

Ils arrivèrent aux cuisines qui se trouvaient au rez-de-chaussée. Flamenca, une vieille auvergnate qui suivait la famille dans ses déplacements, s'agitait autour des fourneaux.

Une grosse table de bois brut trônait au milieu, recouverte de diverses bonnes choses.

-"Bonjour Flamenca." dit Marguerite d'une voix calme. "Nous allons dans le salon, peux-tu nous apporter la gelée de coings que mère aimait tant ? Avec du pain bien sûr."

-"Comme il vous plaira."

-"Merci."

Et Margot invita SanAntonio à la suivre dans la pièce voisine et bien plus confortable.

SanAntonio serait bien resté dans la cuisine, emplie de bons parfums. Il suivit néanmoins son hostesse dans le salon.

"Pardonnez-moi mademoiselle Marguerite, mais, je vous entend parler d'une gelée du coin, et, j'avoue ne pas connaistre les spécialités de cette région. Auriez-vous l'obligeance de m'en parler un peu ?"

Il s'approcha alors d'une chaise, la tira en arrière et la présenta à la jeune baronne.

Marguerite éclata de rire.

-"Ah, messire, vous avez le don de me détendre... Le coing est le fruit du coignier*, et l'on en fait de délicieuses compotes et gelée !

Tenez, mettez-en un peu sur du pain." dit-elle alors que Flamenca amenait un grand pot en céramique contenant ladite gelée.


*[HRP : C'est du vieux français, de nos jours on dit cognassier]

"Du...ah, oui...bien sur..."

SanAntonio se sentit idiot, mais le rire de la jeune demoiselle le détendit.

"Je vais donc goûter, puisque vous insitez, mais, ne voulez donc vous point vous asseoir ?"

-"Mais si, avec plaisir !"

La petite fille prit place sur la chaise confortable - ses pieds ne touchaient pas le sol. Elle pouvait à son aise déposer un peu de gelée sur le pain, à portée de main sur la table.

Elle dévorait ses tartines avec une gourmandise enfantine, et invitait le Vicomte à en faire de même, sans toutefois insister plus que la bienséance ne le permettait.