Une visite de quelques jours

Des pleurs d'enfant se firent entendre par dessus les piaillements épars des poules dans la cour, qui avaient pris soin de fuir à l'approche du convoi. Non pas que cette cour soit une basse cour, mais les poules en liberté vont bien où elles veulent, a fortiori sous les fenêtres des cuisines, au travers desquelles on secouait les nappes pleines de miettes. Une femme apparut, d'âge raisonnable pour avoir un enfant lorsque l'on n'a pas de sang bleu, c'est à dire d'un peu plus de vingt ans. Elle avait un visage insipide, pas plus beau que laid, aux traits réguliers sans être gracieux, aux yeux vifs sans envoûter, au nez suffisamment marqué pour qu'on le remarque mais point assez pour être moqué, aux cheveux d'un brun tirant sur le noir et nattés avec soin sur le côté, au teint pâle, enfin, mais pas nacré.
Ses mains ne reflétaient pas le travail des champs mais le soin de la maison. En l'absence d'intendant, de châtelain, de gouvernante - la vieille Henriette avait finalement succombé à la grippe durant l'hiver - cette jeune femme tenait la maisonnée. Elle avait sous ses ordres certaines femmes comme Flamenca, la cuisinière un peu tassée au nez camus et aux forme gourmandes, signes de sa longue expérience en diverses cuisines de châteaux. Son époux était le Paulet. Jeunes, il la culbutait dans la grande de Bélinay et se faisait gronder par Elissa. Désormais, il l'avait épousée. Un enfant était né. Adeline le portait dans les bras, petit enfançon de quelques jours, alors qu'elle s'avançait dans la cour pour accueillir le Vicomte qu'elle avait déjà vu, lui semblait-il.

-« Soyez le bienvenu à Calvisson, monseigneur. Que puis-je faire pour votre service ? »

Une voix derrière lui fit se retourner le vicomte. On avait dut finalement l'apercevoir, bien que son arrivée n'ait guère été des plus discrète. Le vicomte s'approcha de la servante, et lui répondit :

- Et bien, ma filleule, damoiselle Marguerite de Volpilhat, m'a invitée à venir passer quelques jours en son domaine, un hébergement qui durera le temps de ma visite en Languedoc, visite de courtoisie en tant qu'ambassadeur de ma province. Le voyage, suivit d'une discussion avec ma filleule, m'a donné grand faim, aussi serais-je absolument ravi de pouvoir prendre un bon repas, suivit d'un bon bain. Il faudra aussi fournir foin et eau à mes chevaux, et un repas un peu plus consistant aux gens m'escortant dans ce périple.

Un petit cri s'échappa du nourrisson qui ouvrait et fermait convulsivement ses petits doigts encore tout bouffis, alors que le Vicomte parlait. La femme passa une mèche de cheveux encombrante derrière son oreille et, se penchant sur le petit être, caressa sa joue :

-« Chuuut, mon petit trésor... »

Puis regardant bien droit le Vicomte qui achevait des explications qu'elle avait dans l'ensemble suivies, elle répondit :

-« Je me souviens de vous, vous étiez au baptême. Vous avez de la chance, si vous avez vu Mademoiselle. Ici, ça fait bien une semaine qu'on l'a pas vue. Du coup c'est moi qui gère la gent. Puisque vous devez rester quelques jours, autant vous l'dire de suite, vous allez être bien seul. Seul pour manger, seul pour dormir...
Si vous voulez bien me suivre, il faut aller demander aux cuisines de vous faire à manger, et à vos hommes encore. Combien y sont ? »

Elle jugea d'un regard habilement lancé par dessus l'épaule du Vicomte de la réponse puis tourna les talons tout en continuant à parler.

-« On va voir ce que la Flamenca peut vous trouver à manger. Un poulet sans doute, et des gros haricots. Et elle a fait le pain ce matin, vous avez de la chance. Enfin, avec votre régiment, il va falloir en refaire dans deux jours ! »

Elle eut un rire léger et l'enfant grogna. Puis elle ne dit rien et arrivait presque à la porte quand sortit un homme au regard rieur, au visage naturellement émacié difficilement rembourré par une courte barbe. Avec un sourire épanoui, il se pencha sur l'enfant sous son nez et commença à dire :

-« Alors, comment il va mon petit Clamenç ... ? »
-« Paulet, ce n'est pas le moment ! Messire le Vicomte d'Appérault est là - la gouvernante eut un signe de tête respectueux à SanAntonio - et restera quelques jours. Va t'occuper de ses chevaux, veux-tu ? »

L'homme acquiesca, cessa aussitôt ses pitreries ave son fils, s'inclina fort bas devant le prestigieux hôte de sa maîtresse et partit vers l'attelage.

Laissant son escorte dans la cour, ils auraient bien le temps de se débrouiller sans li, le vicomte suivit celle qui l'avait accueillit. Elle avait dit se souvenir de lui, et il ne pouvait en dire autant, ne s'attardant que peu sur les gens de maison. Et il était tombé sur une personne curieuse et qui aimait à parler, à première vue. Soupirant, et la suivant dans les couloirs, il répondit.

- La solitude ne me dérange point, surtout lorsque je souhaite prendre quelques repos. En journée, vous n'aurez pas à me supporter, je serai au domaine de la chancellerie languedocienne, dont j'ai déjà oublié le nom...

Il se tut alors. Il songea que les quelques jours de visite officielle en Languedoc seraient bien doux, au calme du domaine de sa filleule. Il espérait juste ne pas rentrer trop tard en Champagne, où une lettre du père de la jeune fille serait peut être arrivée. Peut être...

-« C'est bien plutôt vous qui devez me supporter... Enfin, ces femmes de chambre sont bien niaises, ces garçons d'écurie assez sots. Mais je leur demanderai de se faire discrets avec vous, monseigneur.

Le domaine, c'est... Je ne sais plus en fait, mais y paraît qu'ils ont beaucoup de moustiques là bas. Déjà ici, ça commence. Vous pourrez vous frictionner avec du jus de citron, on dit que ça marche. Y'a pas beaucoup de citrons, et des mûrs encore moins, mais il fait déjà chaud et les moustiques, ça pardonne pas. Faut dormir fenêtre fermée. »

Ils arrivaient à la cuisine, où une femme bien portante et un peu voûtée abaissait une pâte brisée dans un plat.

Suivant ce qui devait être l'intendante du domaine, le vicomte se vida l'esprit. Il n'écoutait que d'une oreille distraite ce qu'elle lui disait, sur le citron et ses bienfaits. Il observait la décoration encore sobre du château. Sa filleule avait dut faire emménager ses meubles depuis Bram, mais elle n'avait pas encore dut venir elle même ordonner la décoration intérieure. Un cadre parfait pour se reposer. Ils arrivèrent enfin aux cuisines, et les saveurs vinrent aux narines du vicomte et ne firent qu'accentuer son appétit. Il salua par principe les personnes présentes qui s'affairaient puis s'adressa à celle qui l'avait accueillit.

- Si vous pouviez me montrer le chemin vers mes appartements, je pourrais aller y prendre un peu de repos en attendant le repas.

L'intendante hocha la tête.

-« Bien sûr, monseigneur. Madelon ! Va montrer sa chambre à monseigneur. Celle à côté de Mademoiselle, tu sais. »

La madelon, qui regardait d'un oeil bête la Flamenca en train de faire sa tourte eut un rire tout à fait en harmonie avec son caractère, effectua une courbette et fit signe respectueusement au vicomte de le suivre.

Ils grimpèrent deux étages et arrivèrent dans une salle encore imparfaitement aménagée, mais assez bien pour avoir tout le confort nécessaire. Coussins, lit, écritoire, fenêtre sur la Vaunage...

-« C'est ici, monseigneur. Si monseigneur désire quelque chose, j'étons à sa disposition. »

Pendant ce temps, Adeline s'activait à la cuisine pour faire comprendre la situation à Flamenca, qui entreprit alors de préparer un poulet et un plat de ces gros haricots de pays, ceux du cassoulet.