[Archive RP] L'Abbaye de Saint-Félix de Montceau

Dim 24 Sep 2006

Soeur Anne-Geneviève

La jeune soeur eut un sourire qui révéla ses dents nacrées.

-"La petite Catalina Constance Marianne est née voici deux jours et se porte bien.
Depuis, la Comtesse a pu se remettre. Qu'Aristote vous bénisse, la solitude désormais lui pèse. Votre visite lui fera grand bien. En revanche, je vous prierais d'attendre demain pour aller la trouver. Déranger son sommeil ne serait point délicat, je pense que vous le comprenez."

Refermant la porte derrière eux, elle poursuivit :

-"Veuillez me suivre, je vais vous attribuer une cellule... Autrefois il y avait plus d'une trentaine de moniales, ici. L'Abbaye décline, s'endette, les cellules restent vacantes. Les bienfaiteurs comme votre mère sont rares, ma demoiselle. Ses dons nous sont précieux."

Ils étaient arrivés face auxdites cellules. Soeur Anne-Geneviève recommanda Eléïm et Marguerite à Aristote, puis se retira.

Dim 24 Sep 2006

Marguerite

La jeune demoiselle d'Hermeline écoutait avec attention la religieuse. Comme elle aimerait avoir une telle vie, dédiée à la prière et l'amour d'Aristote ! Comme elle aimerait suivre cette vocation...

Mais déjà, autour d'elle, elle avait entendu parler de mariages. Avec un sourire triste, elle souhaita une bonne nuit à Eléïm et se retira dans sa cellule, où elle pria de longues minutes dans l'obscurité avant de s'allonger à la recherche du sommeil.

Dim 24 Sep 2006

Eléïm

Eléïm souhaita lui aussi une bonne nuit à la jeune fille, puis il entra dans sa cellule, ferma la porte, ouvrit la lucarne barrée pencha la tête aussi loin qu'il put au dehors et espéra un moment voir la Comtesse dans la même position que lui, réveillée par le bruit des sabots... Mais en vain, elle devait dormir à poings fermés.
Après avoir fermé la lucarne et prié, il s'allongea sur son lit, la tête pleine de rêves.
Il allait la revoir...

Dim 24 Sep 2006

Marguerite

Les matines sonnèrent et Margot bondit sur ses pieds. Elle voulait absolument assister à l'office, elle avait déjà manqué celui de la veille quand Eléïm était venu la chercher. Elle se coiffa en hâte, peu habituée à le faire seule - d'ordinaire Adeline, la camérière, l'aidait.

Elle suivit la rumeur des pas des moniales du dortoir à l'église et arriva dans l'église où elle se plaça au fond et suivit du début à la fin la célébration.

Dim 24 Sep 2006

Eléïm

Eléïm était déjà réveillé depuis bien longtemps lorsque les cloches annonçant l'office du matin retentirent en l'Abbaye St Félix-de-Montceau.

Il avait décidé d'aller trouver Elissa à ce moment, ne souhaitant pas la réveiller plus tôt et prévoyant qu'elle serait réveillée par le son des campanas.

Il sortit donc de sa cellule, frappa à celle de Marguerite tout en sachant pertinemment qu'elle devait déjà être en l'Eglise, n'attendit pas de réponse et se précipita dans le couloir du dortoir, à la recherche d'une soeur qui pourrait lui indiquer la cellule de la Comtesse. Il croisa une nonne quelque peu en retard qui le renseigna.
Arrivé devant la porte d'Elissa, il frappa, le coeur battant.

Dim 24 Sep 2006

Elissa

Alors qu'elle émergeait de son sommeil, les cheveux encore épars sur son oreiller, Elissa entendit les coups frappés à sa porte. Réalisant l'état dans lequel elle se trouvait, elle remonta le drap sur ses épaules, puis signifia à la religieuse qui avait dû frapper qu'elle pouvait entrer. Il y eut un instant de flottement lorsque la porte s'ouvrit et qu'Elissa comprit à la fois qu'elle s'était trompée et que celui qui était là était Eléïm.

Soudain, elle s'agita : elle indiqua au jeune homme d'entrer, passa une main dans ses cheveux pour les arranger - elle songeait n'être vraiment pas présentable - , parla vite, submergée par l'émotion.

-"Tout ce temps à vous attendre, et si peu finalement ! Ou bien était-ce ma fatigue... Toujours est-il que je suis heureuse de vous voir, soyez le bienvenu - voici ma chère petite fille, qui n'attend que la reconnaissance de son père pour exister vraiment."

Et ce disant, elle montra le berceau de fortune dans lequel reposait la nouvelle Volpilhat.

Dim 24 Sep 2006

Eléïm

Elle était enfin là, devant ses yeux, toujours aussi belle, son doux visage illuminé par la naissance de l'enfant.

Le jeune homme, toujours sur le pas de la porte, resta un instant à admirer la Comtesse avant d'accourir auprès d'elle, de s'agenouiller devant sa couche, et d'effleurer sa main de ses lèvres ; soupirant de satisfaction pour toute réponse, il lui semblait impossible de prononcer quelque mot sensé.

Il contempla ensuite le nouveau-né et devant la beauté de la vie perpétrée pour la gloire de Dieu, recouvrit la voix:

-"Sois la bienvenue en notre monde, Catalina Constance Marianne, qu'Aristote te bénisse et prenne soin de toi, en ces premiers jours de vie et jusqu'à ce qu'Il te rappelle à Lui.

Se retournant ensuite vers la femme quatre fois mère, il lui répondit d'une voix douce:

- Ah... ma chère Elissa, quel bonheur de vous revoir enfin, si vous saviez depuis combien de temps j'attends ce moment, et combien je craignais ne jamais vous revoir, je suis ici accompagné de Marguerite, nous sommes arrivés cette nuit, mais comment vous sentez-vous?"

Dim 24 Sep 2006

Elissa

Elissa soupira. Elle n'avait pas la force de repousser Eléïm, et pourquoi l'aurait-elle fait ? Il s'inquiétait pour elle, plus que personne à cette heure, pas même sa fille. Avec un sourire, prenant son temps, elle répondit :

-"Tout va bien, mon ami. J'ai pu me rétablir grâce aux bons soins de Soeur Marie Louise et de Soeur Anne-Geneviève. J'attendais mon époux avant vous, mais je vois que vous vous êtes hâtés... Cela me ravit.

Où est ma grande fille ? Où est ma chère Margot ?"

Tirant sur ses draps pour les ramener à elle, elle détourna légèrement le regard. Par la lucarne de sa cellule entrait le soleil matinal. Il inonda le lit de la Comtesse, embrasant ses cheveux roux, allumant ses yeux d'un vert soutenu.

Soeur Anne-Geneviève frappa à la porte à ce moment, et entra, interrompant de fait la conversation. Elle s'excusa lorsqu'elle vit que la Comtesse était occupée, mais Elissa lui signifia qu'il n'y avait aucun mal. La jeune moniale s'assura que tout allait bien et emporta la petite Catalina pour la changer.

Il y eut un moment de flottement, durant lequel ni Elissa ni Eléïm ne parla. Les pas de la religieuse s'éloignèrent puis s'évanouirent. Un oiseau au dehors lança un gazouillement enjoué.

Restant tous deux l'un face à l'autre, ils se regardaient. Tantôt les yeux d'Elissa fuyaient, car le souvenir de la lettre dont elle avait commencé la lecture sans pouvoir la finir lui revenait en tête. Cette lettre, où était-elle maintenant ? La Comtesse ne pouvait guère bouger pour la chercher ni demander à quiconque de l'aider, alors elle ne disait rien. Seul son souffle régulier venait troubler le silence de la pièce.


Au sol, sous le lit, envoyé là bas par quelque pied hâtif au moment de l'accouchement ou peu après, un parchemin tutoyait la poussière.

Mar 26 Sep 2006

Marguerite

Margot sortit de l'office et, se rendant dans le couloir menant à la chambre de sa mère, croisa la jeune soeur Anne-Geneviève, ayant juste le double de son âge. Elle portait la petite Catalina. Margot l'arrêta :

-"Ma soeur, est-ce là ma soeur ?"
-"Oui, demoiselle. Voulez-vous la porter ?"
-"Non, j'aurais peur de la faire tomber. Comment ma mère l'a-t-elle appelée ? Et ma mère va-t-elle bien ?"

Maintenant que l'office était fini, l'inquiétude grandissait en elle à propos de sa mère, qu'elle n'avait pas pris la peine de visiter plus tôt.

-"Catalina, demoiselle. Et votre mère se porte bien, elle est actuellement avec son ami, messire Eléïm."

La jeune fille fronça les sourcils puis remercia la moniale du bout des lèvres. En guise de salut, elle fit un signe de croix, puis se hâta, avec toute la grâce permise du haut de ses quelques années, vers la chambre de sa mère, dans laquelle elle entra sans frapper.

Elle négligea totalement Eléïm et s'approcha de sa mère, qu'elle salua les larmes aux yeux.
N'y tenant plus, elle se blottit contre la Comtesse.

Mer 27 Sep 2006

Eléïm

Eléïm fût très étonné de voir la petite Margot se jeter dans les bras de sa mère. Cette fervente Aristotélicienne semblait déjà, du haut de ses huit printemps et telle une vraie Dame, ne céder que rarement à l'émotion... Sa mère était bien la seule qui semblait pouvoir bénéficier de moments de tendresse. Le jeune homme était comblé par la seule vision du bonheur d'Elissa, toute entourée qu'elle était maintenant de deux filles et d'un ami.

Une unique pensée venait perturber son esprit : la lettre.
L'avait-elle lue ? Qu'en avait-elle pensé ? Lui avait-elle rédigé une réponse ? Avait-elle jugé ses propos inopportuns, voire malséants? Craignait-elle de lui en parler?

En vérité, c'était davantage le jeune homme qui n'osait aborder le sujet.
L'arrivée de Marguerite avait été, en ce sens, une bénédiction, car le silence la précédant lui avait semblé assez pesant.

Rarement Eléïm avait eu autant de mal à parler à la Comtesse, et la situation présente rendait la chose encor plus compliquée, sa fille étant présente et son époux risquant d'arriver à tout moment.
Un songe en chassant un autre, le jeune homme pensa au Sire Jehan, à sa famille qui s'agrandissait, à son obligation de venir ici reconnaître Catalina.

Eléïm commençait réellement à appréhender la venue du Comte : allait-il l'ignorer superbement, allait-il estre aimable, allait-il se montrer acerbe?
On passa porter de l'eau à la pensionnaire. Les moniales étaient bien obligeantes à son égard et Soeur Anne-Geneviève lui avait déjà expliqué pourquoi.

Craignant l'arrivée de son mari proche, et malgré la présence de Marguerite, Eléïm se décida finalement à entamer la conversation, après avoir pris sa respiration, d'un ton plus sérieux que réellement strict :
-"Nous n'avons pas encore eu beaucoup le temps de parler et j'ai bien peur d'en manquer pour vous dire tout ce que j'ai envie de vous dire...
Or en premier lieu, je désirerais aborder avec vous un sujet qui m'est cher...

Mal à l'aise et assez fatigué de tous ses voyages, Eléïm avait quelque peu perdu ses moyens, et hésitait beaucoup. Son coeur battait fort en sa poitrine et sa respiration était gênée par la grosse boule qu'il sentait en sa gorge. Il se lança malgré tout, très maladroitement :

-Espérons que je ne vous aie pas froissée en vous envoyant cette lettre... J'ai pris cette initiative car elle me semblait juste, mais vous, ma Dame, qu'en avez-vous pensé? Oh... Vous me trouvez certainement arrogant et orgueuilleux... Veuillez me pardonner... Je vous ai amené votre fille, je vais vous laisser maintenant, votre époux ne va pas tarder..."

D'un coup, Eléïm s'était trouvé tellement sot -lui parler de cela, en présence de sa fille, alors que Jehan arrivait- qu'il avait abrégé la conversation et s'était levé.

Mer 27 Sep 2006

Elissa

Devant cette fuite, la Comtesse resta interdite. Il semblait que quelque chose - mais quoi ? - lui avait échappé. Eléïm s'apprêtait à partir quand elle le retint d'une voix douce et suppliante :

-"Un instant, mon ami, restez je vous en prie...

Etes-vous si peu en joie de me voir que vous souhaitiez déjà me quitter ? Surtout après votre lettre, cela m'étonne... Toutefois, vous connaissez le chemin du jardin et celui de ma chambre, rien ne vous empêche de partir et revenir par la suite, je serai alors enchantée de vous recevoir à nouveau."

Beaucoup restait non dit entre les deux amis. Où se cachait la chaleur, l'inquiétude rassurante des instants précédents ? Noyée dans ses pensées, les yeux clos, la Comtesse commençait à entrevoir son futur. Elle eut envie de pleurer. Tout se profilait nettement dans son esprit : Eledhwen qui ne tarderait point, elle l'espérait ; son impuissance face au mal qui rongeait cette chère amie ; son coeur, enfin, divisé entre tant de choses, fort de l'amour d'Aristote, cette amour si fort qu'il supplantait tous les autres et l'empêchait, par foi, de se laisser aller à écouter ses passions...

Glissant un peu plus sous ses draps, elle perdit de sa hauteur impérieuse et relâcha d'un coup sa respiration et toutes ses pensées, ne chercha même pas à savoir si le sire Eléïm était parti ; elle se tourna vers sa chère Margot dont elle caressa la tête blonde. Rarement, elle l'avait vue dans cet état de détresse, aussi affectueuse, aussi jolie, alors que sur ses joues de velours coulaient en silence des larmes bienfaitrices.

-"Allons, allons, ma toute belle... Ne crois-tu pas que ces larmes sont vaines, que baisser les yeux est renier Notre Seigneur qui t'a donné les traits des anges ?
Dieu est grand : souviens-toi, à chaque instant de ta vie, que ton visage a été créé pour regarder vers le ciel."

Jeu 28 Sep 2006

Jehan

Soudain, une main fine et ferme essuya la larme de la fillette. Une autre, portant sceau, releva le visage de Marguerite et le tourna vers le ciel, afin de constater combien elle avoit grandi en grasce et en beauté. Et l'on vit passer une intense lueur de joie dans les yeux enfantins.

La petite cellule s'emplit en un instant d'un grand tumulte.

Le comte d'Urgel se tenoit céans, vestu d'un habit de voyage ébène et d'une seule collerette de dentelle. Il avoit fait route depuis Saragosse avecques grand équipage, car il estoit décidé à pousser jusqu'à Paris afin que de revoir de vieux amis et d'assister à l'intronisation du nouveau Montjoye.

Le cheveu roux avoit grisé, la barbiche avoit poussé, mais le visage restoit émacié. Du haut de ses trente-six ans, Jehan de Volpilhat estoit désormais un gentilhomme respectable et respecté. L'oeil pétilloit cependant de malice, comme au jour lointain où le Cinquième des Malpertuis avoit ouvert les yeux sur le monde.

La sixième génération, elle, dormoit paisiblement dans un couffin aux confins de la petite pièce.

Nanti de son éternel petit sourire en coin, Jehan d'Urgel déposa un baiser sur le front brûlant de la comtesse son espouse. Il ne songea mesme pas à luy reprocher de n'avoir point suivi son espoux oultremonts.

Dans le silence de la stupéfaction et des retrouvailles, il s'approcha du berceau et vit, emmaillotée, la chair de sa chair se débattant et agitant des bras encore dérisoires. Se retournant vers Elissa, il demanda :

-Comment s'appelle-t-elle ? Catalina, avions-nous convenu.

Son espouse opina, à sa grande satisfaction. La maison d'Urgel retrouvoit dans la maison de Malpertuis un sang capable de pousser la fortune des comtes échiquetés d'or et de sable. Jehan embrassa son enfant, ce qui valut recognoissance.

Après quoy, se redressant, il dévisagea un jeune homme qui se trouvoit non loin, et qu'il n'avoit point l'heur de cognoistre.

Ven 29 Sep 2006

Elissa

Elissa n'avait point remarqué que la jeune soeur Anne-Geneviève avait remis sa fille dans son berceau. Elle sourit lorsqu'elle vit son époux se pencher sur le berceau, et toute la tension des jours passés s'évapora d'un seul coup. Réchauffée de l'intérieur, c'était désormais l'apparence de son époux, qu'elle n'avait presque pas vu depuis trois ans, hormis une furtive visite qu'il avait faite quelques mois auparavant pour honorer de sa présence la Festa d'Oc bitteroise, qui l'inquiétait.
Tournant son regard ému vers lui, elle l'interrogea d'une voix douce, sans reproche :

-"Où est mon époux ? Où sont ces cheveux que j'aimais tant, quelle est cette vesture austère ? L'Yspagne vous a-t-elle à ce point changé, mon ami... Est-ce d'avoir trop parlé cette langue étrange et étrangère que je n'entends point, qui vous aura aigri ? On la dit pourtant chantante..."

Tout en parlant, elle s'était penchée pour saisir la main de son époux. Elle l'embrassa, fiévreuse, cette main qu'elle avait tant caressée par le passé, désormais forcie par le temps, mais qui gardait certaines marques d'antan, quand leurs deux coeurs embrasés préféraient les démonstrations d'amour et les chaudes étreintes à la froide distance imposée par les convenances.

Si longtemps, elle avait souhaité ce moment... Il s'étendait, mollement, alors qu'au dessus d'eux sonnait un nouvel office. Sous ses yeux le tableau de famille était presque complet, il n'y manquait que l'aîné, Reginhart, qui faisait ses études en Bourgogne au domaine familial de Malpertuis.

-"Il me semble qu'aujourd'hui marque un tournant irréversible dans nos vies... Mon ami, nos vieux jours vont venir : les vivrez-vous avec moi, resterez-vous cette fois ? Qu'aviez-vous songé ? Me laisser, encore ? M'emmener à Urgel, m'enseigner votre langue ? Je ne survivrai pas à un nouveau départ... C'est à nos enfants qu'il nous faut songer, à les marier... Nous en avons déjà perdu un, faisons le bonheur des autres.

Resterez-vous à l'Abbaye cette nuit ou irez-vous retrouver vos propriétés ? Il y a Bram, ou l'Hostel à Carcassonne, mais cela reste loin...

A ce propos, ajouta-t-elle en invitant le jeune homme qui était resté à l'écart à s'approcher, je vous présente le sire Eléïm, dont je vous ai déjà vanté les mérites dans une lettre. A voir votre regard étonné, j'avais raison de supposer que vous ignoriez tant sa physionomie que son esprit. En votre absence il m'a été d'un grand secours moral, alors veuillez l'accepter comme un frère, mon tendre ami..."

Ven 29 Sep 2006

Eléïm

Alors qu'il s'apprêtait à baer la porte afin de sortir quelques instants de la celle pour recouvrer ses esprits, l'aimable voix de Dame Elissa avait retenu Eléïm.

Il était en outre heureux que celui-ci soit finalement resté dans la pièce car quelques instants plus tard, et alors qu'il regardait la Comtesse enseigner à sa fille quelque Vérité Aristotélicienne, un homme plutôt asgé pénétrait discrètement dans la petite chambre.

Il n'aurait pas voulu être déguilé se ressourçant dans le couloir, devant la porte de la cellule qui depuis plusieurs jours abritait Dame Elissa. Le sire Jehan entra, le jeune homme, retiré dans un coin de la pièce, en observa les traits minutieusement... Etait-ce bien lui le mari d'Elissa ?

Elle ne lui avait pourtant pas parlé d'un homme autoritaire au visage sévère et à l'incorrection notoire. Eléïm ne s'attendait bien sûr pas à un accueil chaleureux, mais estre ainsi dévisagé sans sembler digne d'estre salué lui avait quelque peu déplu.

Un spectacle quelque peu irréel s'était offert à lui. Il observait la scène en grimaçant, presque imperceptiblement.

Un sourire franc réapparut sur ses lèvres lorsque la Comtesse l'invita à s'approcher. Il fit quelques pas vers le milieu de la pièce, regarda Elissa puis le Sire Jehan et salua ce dernier.

Sam 30 Sep 2006

Marguerite

Margot avait frissonné au contact de la main de son père. Elle se souvenait si peu de lui ! Mais quand elle croisa ces yeux semblables aux siens, tremblant un peu, elle fut parcourue d'une onde d'intense bonheur. Elle quitta la chaude compagnie de sa mère pour s'incliner devant son père, qui déjà s'était tourné vers la petite Catalina.

Et debout, elle assista à l'échange de ses deux parents, serrant les lèvres pour ne pas intervenir, comme il convenait à une demoiselle bien élevée. Mais, son regard allant de sa mère à son père puis au sire Eléïm, des larmes amères picotèrent ses yeux. Sans rien dire, elle quitta la chambre et s'en fut dans les jardins où, se jetant sur un banc, elle se laissa aller à tout un flot de pensées venimeuses envers sa mère, des pensées qu'Aristote condamnerait sans nulle doute, ce qui redoubla ses sanglots.

Posté le: 17:58 Jeu 05 Oct 2006

Elissa

Il avait été convenu que Jehan emmènerait son épouse en Languedoc, à son retour de Paris. Il partit le jour même pour la capitale, où il devait prendre part à la cérémonie d'intronisation du nouveau Roy d'Armes. Elissa, encore trop fatiguée, restait en Languedoc jusqu'à ce qu'il redescende dans le sud, malgré le regret qu'elle avait de ne pouvoir participer à si grand évnement.

La petite Catalina, désormais reconnue, avait été envoyée chez une nourrice, à Bram. Margot était également retournée à Bram, dont elle était devenue la baronne par la volonté conjointe de ses deux parents. Jehan avait, entre autres, réglé cette succession lors de son voyage à Paris.

Deux semaines passèrent, ainsi que l'anniversaire d'Elissa : trente-quatre ans, déjà...

Elle passait de longues heures dans les jardins de l'Abbaye ou dans sa chambre, à réfléchir. Elle poussait parfois très loin ses promenades, seule. Elle attendait quelqu'un, ignorait si cette personne viendrait...

Ce jour-là, elle envoya une lettre à Narbonne.

Posté le: 15:48 Sam 07 Oct 2006

Eléïm

Durant ces presque deux semaines, Eléïm avait passé le plus clair de son temps entre Montpellier où il travaillait à la chancellerie et l'Abbaye de Saint-Félix de Montceau où il visitait Elissa, tous les trois jours environs.

Si ça ne tenait qu'à lui, il serait venu plus souvent, mais il était fort occupé et souvent sur les routes entre ses postes d'ambassadeur et l'Hostel de Malpertuis à garder à Carcassonne.

On parlait de tout et de rien entre la cellule qu'occupait la Comtesse et les jardins dans lesquels les deux amis aimaient à flâner.
On n'évoqua plus la fameuse lettre... Eléïm ne souhaitait pas presser la femme, il attendait qu'elle engage la conversation.

Aussi, devant son mutisme, il avait abandonné tout optimisme. La tristesse l'envahissait parfois, car cette lettre, qui était son dernier espoir, ne semblait pas avoir convaincu la Dame.

Et celle-ci devait sûrement se taire à ce propos pour ne rien le laisser espérer. Il ne faisait plus que profiter des heureux moments qu'ils passaient ensemble.

Posté le: 17:04 Sam 07 Oct 2006

Soeur Anne-Geneviève

La Prieure de l'Abbaye, Jehanne de Montlaur, entra dans la chambre de la Comtesse. Cette dernière l'avait faite mander sans plus d'explications, mais semblait-il de manière urgente. S'appuyant contre le mur pour soutenir tous les ans qu'elle traînait sur son dos, elle était arrivée jusqu'à la cellule d'Elissa.

Elle s'assit à ses côtés, sur le lit, et observa de son regard scrutateur le visage de la Comtesse, qui semblait pâle, affaiblie par quelque mal physique ou moral.

-"Qu'y a-t-il, mon enfant ?"

Posté le: 17:11 Sam 07 Oct 2006

Elissa

Alors la Comtesse lui prit la main et pleura.

-« Ma mère, pardonnez-moi car j’ai péché… Par amour, j’ai trahi un serment prêté devant Aristote Notre Très Saint Seigneur. L’amour que nous enseigne Dieu Notre Père semble incompatible avec celui qu’Il m’a commandé pour un et un seul, mon époux.

Oui, j’ai péché… Alors que j’aurais dû le rejoindre où il était parti, l’aimer et le chérir, au lieu de le suivre fidèlement en Aragon j’ai pris pour amants un pays et un peuple. Que cette étreinte ait été ou non réciproque, peu m’importe. Je me sentais si bien parmi les Languedociens, même dans les moments les plus difficiles de mon existence ! Quand j’ai pris congé de ce peuple, j’ai adoré plus que jamais Notre Très Saint Seigneur Aristote et ses créations. » Elissa posa sa voix, croisa le regard impassible de la religieuse avec un frisson et continua, vibrante :

-« Une fois encore j’ai le sentiment d’avoir trahi ce serment aristotélicien, et mon grand péché, ma mère, est de m'être parjurée en souhaitant me lier à un autre. Notre Très Saint Seigneur Aristote m’appelle, grâce à Lui et pour Lui je suis pleine d’amour. Mais L’épouser serait trahir le serment que j’ai fait devant Lui, dont seule la mort peut me délier… La Comtesse marqua une nouvelle pause, reprenant son souffle, tentant de calmer son cœur qui malgré elle s’emballait. Dans un sursaut de courage, elle acheva : Puisque je ne peux porter le voile pour mieux Le servir, puisqu’en L’aimant ici je ne chéris pas mon époux, ce que j’ai pourtant promis, puisque je ne voudrais pas Lui déplaire, laissez-moi mourir en sainteté et d’avance pardonnez-moi, car je vais pécher. »

Ravaler les larmes que cette supplique entretenaient était tentative bien vaine : elles inondaient les mains jointes de la Prieure et de la Comtesse, ces mains qui toutes quatre étaient faites pour la prière plus que pour n’importe quelle autre activité.

Posté le: 17:30 Sam 07 Oct 2006

Jehanne de Montlaur

Jehanne de Montlaur avait bien du mal à cacher son étonnement et son incrédulité. Elle savait la Comtesse très pieuse, elle l'ignorait si triste, et ne parvenait que peu à comprendre en quoi l'amour d'Aristote la rendait si triste. Mais ce qu'elle comprit, c'est que nulle femme n'avait été aussi fidèle aristotélicienne dans sa vie, quitte à en souffrir. Le péché avoué semblait n'être rien... Celui annoncé serait peut-être terrible.

Elle ferma ses yeux et fit appel à Aristote pour juger de cette affaire. Elle savait que si elle ne pardonnait pas à la Comtesse, cette dernière serait plus désespérée qu'elle ne l'était déjà de se croire irrémédiablement perdue. Finalement, qu'elle lui remette ses péchés ou non, elle n'empêcherait rien. Alors elle posa ses mains sur celles de la Comtesse et prononça les paroles rédemptrices :

-"Ma fille... Tant que vous agissez par amour, vous êtes pure aux yeux de Notre Très Saint Seigneur.
Que Dieu notre Père vous montre sa miséricorde. Par la mort et la sublimation de son envoyé, Christos, il a réconcilié le monde avec lui et il a envoyé l'Action Divine pour la rémission des péchés. Par le ministère de l'Église, qu'il vous donne le pardon et la paix. Et moi, au nom du Père, d'Aristote et de Christos, je vous pardonne tous vos péchés."

Posté le: 17:41 Sam 07 Oct 2006

Elissa

-"Père, Dieu de tendresse et de miséricorde, j’ai péché contre Toi et mes frères. Je ne suis pas digne d’être appelée ton enfant, mais près de Toi se trouve le pardon. Accueille mon repentir."

Puis la Comtesse, comme guérie, sourit à la Prieure et sécha un peu ses larmes. Elle lui annonça :

-"Mon époux rentrera bientôt de Paris, et alors je partirai à Urgel. Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi.
Le fief de Bram est revenu à ma fille Marguerite, mais je lui ai laissé pour consignes de vous verser, jusqu'à ses noces, toute la rente des terres de Bram hormis les quelques écus qui lui seront nécessaires pour vivre dignement. Je sais qu'elle exaucera ma volonté, et je ne voudrais pas voir dépérir ce lieu où j'ai passé des heures sublimes près de Dieu.

Au revoir, ma mère, je m'en vais dans les jardins. Qu'Aristote vous garde toujours."

Elissa se leva avec dignité et embrassa la Prieure avant de sortir de la cellule.

Posté le: 17:54 Sam 07 Oct 2006

Eledwhen de Goanv

Eledhwen avait quitté les terres de son amour, le baron de Châteaubriand, quelques semaines plus tôt. Le ciel était alors des plus sombres mais il n'avait rien dit que ce qu'il savait; car le ciel savait tout, depuis que la Dame de Talensac avait pris pour habitude de se confier à lui.
Ce long voyage avait séché ses larmes et même la tristesse qui les avait causé était toujours présente, tout allait bientôt aller mieux, car ce ne pouvait être pire.

La cariole entra dans la cour de l'Abbaye Saint Felix de Montceau, dans les alentours de Béziers. Eledhwen y était sans doute espérée, mais certes pas attendue.
En effet, son amie Elissa lui avait envoyé une bien singulière lettre voilà quelques temps, lui laissant le choix de venir la trouver ou non. La jeune irlandaise l'avait laissé sans nouvelle et pourtant, sa décision était prise.

Elle descendit de son véhicule et se dirigea sans attendre vers les grandes portes qui lui faisaient face, sur un air de défi. Elle frappa deux coups sur leur bois et le judas grinça aussitôt pour laisser place à deux yeux sévères. "Judas", ce mot était-il anodin pour une telle invention ou était-ce le traître en personne qui la fixait ainsi ? Quoi qu'il en fut, une voix usée par les âges se fit entendre :

_ "Oui, c'est pour quoi ?"

Eledhwen éclaircit la sienne pour répondre :

_ "Bonjour ma Soeur. Je suis Eledhwen de Goanv et je viens visiter mon amie Elissa de Volpilhat qui a élu domicile chez vous il y a peu."

Le judas grinça de nouveau pour se refermer et la porte s'ouvrit tout à fait.

_ "Entrez, je vous en prie."

Sans plus se retourner, Eledhwen franchit le pas de la porte, oubliant d'indiquer à ses gens qu'ils n'étaient plus nécessaire de l'attendre à présent.

On l'introduisit bientôt auprès de celle pour qui elle avait fait ce long chemin.
Elissa était là, lui tournant le dos, absorbée par quelques mélancoliques pensées. Elle venait d’achever une courageuse confession. Alors avec cérémonie, la Dame de Talensac souffla à son intention :

_ "Quelle belle matinée, mon amie."

Posté le: 18:12 Sam 07 Oct 2006

Eléïm

Les moniales de l'Abbaye étaient maintenant accoutumées aux visites d'Eléïm en leurs saints murs et n'étaient plus aussi intriguées par la venue d'un homme.

Elles l'accueillaient désormais sans lui poser de question et en lui désignant l'endroit où la Comtesse se trouvait au moment-mesme. Eléïm ignorait bien comment elles étaient au courant du moindre déplacement de leur hoste, mais il n'avait pas l'habitude de poser de nombreuses questions, surtout à des religieuses.

Cette fois-ci, ce fut la soeur Mahaut de Créquy qui ouvrit la porte à Eléïm. Ses jolies boucles blondes contrastaient avec la singulière contrefaçon de son visage.
Cette fois-ci, elle ne dirigea Eléïm ni vers le jardin, ni vers l'église et le défendit de la rejoindre en sa cellule.
La Comtesse avait mandé en sa chambre -et de toute urgence encor-, la Prieure de l'Abbaye, une vieille femme dénommée Jehanne de Montlaur, qu'Eléïm avait déjà croisée.

Le jeune homme fut intrigué de cette requête et quelque peu angoissé mais ne voulut pas en savoir davantage, il remercia la soeur et la gratifia d'un sourire avant d'aller se promener dans les jardins de l'Abbaye, le coeur serré et l'esprit préoccupé.

Posté le: 18:27 Sam 07 Oct 2006

Elissa

La Comtesse étouffa un cri de suprise. Elle observa un instant sa souveraine, son amie bien entendu... Elle était venue, et arrivait à point nommé. Sur ses avant-bras s'égaraient quelques taches rosées et ovales. Elissa ne songea pas à demander de quoi il s'agissait, même s'il lui vint à l'esprit que ces taches n'étaient sans doute pas étrangères à la venue de la dame de Talensac.

Derrière les deux femmes, la Prieure de l'Abbaye sortait de la chambre.

-"En effet, ma chère amie. Je n'attendais plus votre venue..."

Cédant à tout protocole, la Comtesse au coeur désormais si fragile serra contre elle Eledhwen de Goanv.

-"Venez un instant... Il me reste une chose à régler."

Les deux femmes entrèrent dans la cellule, et Elissa invita Eledhwen à prendre place sur le lit. La Comtesse ouvrit son coffre - sur lequel d'ordinaire elle s'asseyait - et y prit deux feuilles de papier et son encre. Elle écrivit deux lettres, l'une à laquelle elle recommandait à Marguerite de faire d'Eléïm son homme-lige, pour toutes les bontés qu'il avait eues pour elle-même, pour son soutien durant toutes les épreuves, depuis la mort d'Alionor Lhise Amédée. Elle lui écrivit tout son amour maternel, puis cacheta la lettre avec son ancien sceau, où figuraient encore Bram et Malpertuis, passés désormais à ses enfants, car elle n'avait pu en faire fabriquer un autre. Elle rédigea ensuite une lettre adressée à Eléïm, lui présentant ses excuses, lui souhaitant un vie heureuse, et lui demandant avec insistance d'accepter de devenir le précepteur de la petite Marguerite.

Elle hésita, puis finalement sortit une dernière feuille et rédigea une lettre à son époux, dans laquelle elle ne dissimula rien.

Retournant à son coffre, elle en tira une épée brillante roulée dans un linge : Almade, qu'elle avait reçue lors de son anoblissement. Elle la posa à côté de la lettre pour Margot.

-"Nous pouvons y aller, mon amie."

Elle n'avait jamais eu de sourire si radieux qu'en ce moment, à l'idée de s'en aller communier une ultime foi avec Aristote.

Posté le: 18:42 Sam 07 Oct 2006

Eledwhen de Goanv

Eledhwen, elle, avait grand mal à sourire. Elle avait laissé son amour et son avenir en Bretagne, et d'aucun n'aurait de ses nouvelles car elle n'avait souhaité laisser de lettres à quiconque.
Amère, elle allait quitter la vie, sans l'avoir jamais donné, pour en sauver milles autres. En effet, le mal qui l'atteignait devenait trop dangereux pour ses proches et c'était là la raison qui l'avait poussé à répondre à l'appel d'Elissa. Personne ne saurait jamais le pourquoi de sa décision irrévocable. Personne à part le ciel qui, muet, avait du l'écouter les soirs où le sommeil ne pouvait vaincre ses doutes et sa peine.

La gorge était serrée, elle repensa à la dernière scène jouée pour son amant, Myrlin de Châteaubriand. Elle aurait voulu partir avec honnêteté mais s'était résolue à mentir pour ne pas le laisser intenter à sa propre vie en la retenant près de lui. Elle regretta d'avoir eu la faiblesse de se laisser embrasser une dernière fois et espéra que son mal ne lui fut pas transmis à ce moment-là. Non, le risque devait être minime aux vues des signes de la maladie incurable encore peu prononcée.

Bientôt, elle sortit de ces sordides songes et pris le bras de son amie avec complicité. Ne sachant ce qui était exactement prévu, elle se laissa guider au-dehors. Les jardins baignés de la lumière de l'astre du jour offraient un spectable envoûtant pour les yeux.